Merci à Salima Naji qui m’a donné la source de cet article
1. L’oasis-médina de Tiznit
1.1. Tiznit, ville longtemps laissée en déshérence
Tiznit ne s’est constituée comme ville qu’à la toute fin du XIXe siècle par la construction de murailles sur ordre du sultan en 1882. Elle fut pourtant classée dès 1932 par les autorités coloniales françaises pour son caractère spectaculaire de cité saharienne bâtie en terre. Enserrée de murailles basses caractéristiques, elle englobe jardins et petits hameaux appelés « ksebt », correspondant à l’implantation de grands lignages anciens autour de points d’eau. Les images d’archives rendent bien compte de cette période de cité-jardin saharienne qui ne dépassait pas les 7 000 âmes. Cependant, à partir de l’indépendance, la ville connaît une forte croissance démographique tout en attirant de nouvelles populations du fait de son statut de chef lieu de province. La population au sein de la médina a été multipliée par six dépassant les 30 000 habitants et celle de l’agglomération par dix atteignant 75 000 individus.
1.1.1. Requalifier Tiznit par un plan de sauvegarde adapté
Aujourd’hui, la médina est traversée par une double dynamique qui peut paraître contradictoire mais qu’il semble possible de concilier. D’une part des habitants animés par un désir de mémoire souhaitent conserver le cadre historique (matériel et immatériel) de la médina. D’autre part, ils sont désireux de bénéficier d’un niveau de confort par la mise à disposition de commodités. Bien souvent ces deux tendances se traduisent par la conservation de quelques monuments symboliques devenant les points d’ancrage de la mémoire et la destruction des autres espaces dans le cadre d’une « mise à niveau» hâtive. Exception faite des bâtisses emblématiques, les constructions sont normalisées selon des standards urbains nationaux exogènes à la ville, effaçant le plus souvent toutes traces anciennes des quartiers historiques traditionnels et, ce faisant, des modes constructifs vernaculaires (NAJI, 2010, 2015). Ce phénomène est accéléré par le lotissement des jardins et la verticalisation de l’habitat destiné à accueillir des ménages modestes voire pauvres à la recherche de loyer très faibles.
Ainsi, la médina est à un croisement conservant encore des témoignages historiques de première importance, tout en subissant un processus de banalisation et de paupérisation. Elle est une addition d’intérêts individuels et collectifs souvent opposés, dans un contexte de changement social radical. Cette configuration incite à envisager une stratégie innovante basée sur un diagnostic qui ne soit pas seulement une analyse sèche coupée de la réalité, mais plutôt une vraie étape de sensibilisation ayant toute sa place dans le processus de sauvegarde ré-enclenché depuis peu à Tiznit. En conséquent, il était pertinent de proposer un modèle de développement urbain qui constituerait une urbanité nouvelle pour la médina de Tiznit conciliant les deux aspects que sont respect du patrimoine urbain et paysager avec un réel développement de services destinés aux habitants.
Alors que la ville est intégrée à un processus dit de « mise à niveau », sensé rattraper le « retard », le modèle de développement urbain que notre étude proposait pour la médina était adapté à la mesure pour la ville : dépasser l’opposition tradition et modernité. Il s’agit donc de renforcer le capital spatial de la médina, soit l’ensemble des infrastructures à même de dynamiser l’activité économique, d’améliorer le quotidien des habitants, mais aussi d’encourager les acteurs de la société civile. Il s’agit donc de favoriser la dimension symbolique des lieux en liant mémoire, environnement et paysage.
1.1.2. Médina et oasis, un passé agricole: la singularité de Tiznit
Tiznit ne peut être comparée aux cités médiévales de Marrakech ou Fès, capitales dynastiques classées au Patrimoine mondial de l’humanité du fait d’un patrimoine bâti multiséculaire. Tiznit a conservé longtemps une dimension agraire articulant système d’irrigation, jardins et habitat dédié à l’activité agricole. Cette distinction par rapport aux autres médinas du Royaume doit être bien comprise : médina certes par ses ruelles et la densité de ses activités commerciale mais la ville reste surtout une oasis implantée originellement autour d’une source fondatrice. L’étude de la ville (1) a soulevé un certain nombre de problèmes, des désaccords de méthode et de lourds enjeux spéculatif. Premièrement, la paupérisation et la marginalisation de l’activité agricole ont favorisé la lente dégradation du bâti par manque d’entretien ou par des transformations ignorant les règles de l’art. Les épisodes pluvieux de 2009 et de 2014 ont accéléré ce phénomène au point de menacer tout l’héritage patrimonial qu’il soit public, privé, d’envergure ou modeste : les autorités abusant du qualificatif «d’habitat menaçant ruine». Le processus de construction de l’espace urbain s’est donc fait par défaut : après avoir tenté de faire face à la croissance démographique des années 1980, il essaye désormais d’absorber la précarité des populations, alternant laisser-faire et décisions réglementaires d’urgence. Fort de ce constat, la municipalité était à la recherche d’une nouvelle urbanité pour la médina, c’est-à-dire un horizon de développement intégré correspondant aux besoins d’une agglomération moderne, mais dans une ville gardienne de son histoire et de son patrimoine.
1.2. Du plan de sauvegarde aux premières actions patrimoniales
1.2.1. Deux secteurs sauvegardés pour ancrer la mémoire de la ville
En conséquence, un long processus de consultation a été initié à partir de 2008, puis formaliser à partir de 2010 autour d’un plan d’aménagement et de sauvegarde de la médina (PASM). Cette dynamique s’est donc nourrie d’une prise de conscience politique des élites désireuse de restituer l’histoire de la ville aux citoyens (NAJI, 2013 : 127). La médina de Tiznit est une zone de sauvegarde en soi. Séparée de la ville nouvelle par ses murailles, elle est dotée de mesures conservatoires depuis 1934. Deux secteurs sauvegardés prioritaires ont été délimités autour des deux centres historiques de la ville, présentant chacun deux étapes historiques d’expansion de la ville et dotés de qualités esthétiques singulières. Le centre historique de source est le premier périmètre sauvegardé de la ville puisque c’est de cette source que s’origine la ville, entre le XIIIe et le XVe siècles. Puis lorsque les remparts sont achevés (1886), un nouveau centre est établi autour du Méchouar, une place dédiée au rassemblement des troupes sultaniennes. Articulé autour d’un palais Khalifal, il devient le nouveau centre commercial de la ville. Le premier coeur historique connait alors un long déclin, que seule la mosquée du vendredi réveille. En revanche, la place du Méchouar devient le cœur économique de la ville. Au sud, l’arsenal et les écuries accueillent l’administration coloniale et la caserne moderne (édifiées en 1924), tandis que la place est entourée de souks, d’hôtels, de cafés et la gare routière
1.2.2. Rendre lisible les origines de la ville pour mieux les magnifier
Le projet présenté ici celui du secteur sauvegardé « AIN AQDIM centre historique noyau premier des origines de Tiznit » englobant la fameuse source et son bassin (2015), autour de laquelle gravitent la Kasbah Aghenaj, citadelle restaurée en 2008 avec un théâtre de plein air (réalisé en 2009) un Centre d’Interprétation du Patrimoine (en cours de construction) mais aussi un Centre de traitement des archives de la ville (2016), une maison des produits du terroir (2016), et la création d’un petit Square Lmers (2013). La mosquée Jemaa Lkbir a été également réhabilitée par le ministère des Affaires religieuses (2011-2015) de façon malheureusement plus discutable puisque la Charte de la ville n’a pas été respectée pour les enduits de chaux et son minaret originel n’a pas été restitué.Cet ensemble de projets magnifie les origines historiques de la ville en accentuant l’accessibilité des lieux aux habitants. En effet, beaucoup d’espaces (la kasbah, la source) était clos et donc fermés au public, d’autres (le terrain Lmers) trop dégradés pour être fréquentés. L’accessibilité traduit en effet une volonté politique des élus, des associatifs et des citoyens, d’ouvrir les lieux aux habitants. Parallèlement, la mise en valeur s’accompagne de panneaux de signalétique destinés à une sensibilisation à l’histoire de la ville et de parutions de petits ouvrages bilingue de vulgarisation (Boumzgou, Goeury, Naji, 2016) autour enfin de circuits touristiques de découverte avec l’appui notamment de l’association Amoudou. Enfin, en mettant ainsi en relief les éléments saillants qui caractérisent son identité, des mesures de protection ont aussi été testées in situ par l’architecte (enduis des façades, pavement de pierre et éclairage idoine).
2. Ain Aqdim, la source fondatrice
2.1 Au coeur du noyau originel, l’eau pérenne
Tiznit a pour lieu de fondation un point d’eau, dit Ain Aqdim (la source ancienne). Un bassin recueille les eaux de résurgences karstiques, essentielles au développement de l’oasis. À proximité se trouve la première mosquée et le tombeau de Lalla Zninia, la sainte femme à qui est attribuée la découvert de la «source». A proximité des hameaux fortifiés se sont implantés. Au sud, a été implantée Jemaa Lkbir, la grande mosquée avec la place où avaient lieu tous les rassemblements fédérateurs des Ahl Tiznit. Puis en 1810, une citadelle, la Kasbah Aghenaj, fut édifiée pour contrôler la région.
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Figure 3 : Situation des projets de Tiznit en son noyau historique fondateur, Salima Naji © tous droits réservés. |
Le site est lié à un mythe fondateur lié à l’eau, caractéristique de cette zone aride qui se trouve entre le piémont de l’Anti-Atlas et en limites des zones présahariennes. La source aurait été découverte par une femme, Lalla Zninia, qui aurait donné son nom à la ville. Lalla Zninia serait aussi fondatrice de la première mosquée dans la ville, mosquée qui abrite aujourd’hui encore son tombeau à proximité (Zawya Lalla Zninia). Le récit de la découverte des eaux de résurgence de Tiznit possède plusieurs variantes et tend vers une hagiographie de celle, qui, depuis lors, est considérée comme une sainte. Plus tard, cette source d’eau est aménagée en deux petits bassins permettant une sédentarisation croissante des transhumants ou pasteurs autour d’une agriculture oléicole et vivrière. Les nombreux jardins ont créé les conditions d’un habitat durable. Cependant, en 1912, le chenal karstique est percé douze kilomètres en amont et ouvre une période de conflits qui s’achève par le détournement d’une partie de la source. A la période coloniale, le site est profondément transformé. Un grand bassin est creusé et rendu accessible par des escaliers. A l’indépendance, il est agrandi et clos par une grille pour être réservé à la seule irrigation.
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Figure 4 : Situation du projet Ain Aqdim (la source originelle) dans la médina en relation avec la palmeraie, extérieure, les puits et citernes gravitant autour du site. |
2.2. Patrimoine et environnement médinal retrouver la durabilité par un projet de proximité
Le mot at-turath en arabe, patrimoine, a une composante autant environnementale que bâtie, et permet d’offrir, quand il devient un enjeu politique, de multiples opportunités à la population, par la protection du cadre de vie. Il devient alors un concept clé pour aider à une mise en valeur de la ville et de ses abords en renforçant les strates défavorisées. Une dynamique participative est enclenchée à Tiznit depuis 2003. Ainsi, une ceinture verte autour des murailles est mise en œuvre en 2006, s’appuyant sur la zone non aedificandi classée entre 1933 et 1946, et sur le prolongement de la palmeraie. Les canaux d’acheminement des eaux de source sont réhabilités pour les deux périmètres irrigués historiques qui composent la palmeraie : Targa n’zit (l’oliveraie) à l’ouest et Targa n’Oussengar (le périmètre du maïs) à l’est.
La réhabilitation de la source ancienne est donc à la fois un enjeu urbain et agricole. L’eau pérenne incarne l’origine de la ville, structure le noyau historique et surtout irrigue l’oliveraie-palmeraie. Par conséquent, elle agrège des représentations différentes qui se superposent. La source historique doit donc être traitée comme un monument au cœur du noyau fondateur pour servir d’appui au sauvetage patrimonial du site, mais aussi assurer l’approvisionnement de la palmeraie plus au nord. Elle est donc associée à une station de levage et à la réhabilitation du canal souterrain qui a été percé à plusieurs reprises du fait de confusions avec le réseau d’assainissement liquide.
2.3. Matériaux et dispositifs architecturaux : débat sur la norme
En 2010, la municipalité convainc l’opérateur Al Omrane d’appuyer ce projet paysager de mise en valeur patrimoniale dans le cadre du programme de mise à niveau urabine. Le site est alors remodelé pour devenir aussi un jardin public. Parallèlement, il intègre la mitoyenneté dans le cadre d’appui à des porteurs projets qui ont consenti à une expropriation partielle.
La requalification de la source Ain Aqdim s’est alors appuyée sur l’emploi de matériaux locaux: la pierre a ainsi habillé le sarcophage en béton qui retient le réservoir d’eau tandis que les murs de mitoyenneté ont été édifiés en pisé stabilisé et en adobes de terre crue, avec un enduit à la chaux (et badigeon terre). Autour de la source, un pavement en pierre de Ouijjane, sise à 20 kilomètres, a été privilégié pour assurer une césure entre le centre historique et ses environs. Ce choix a été le plus long et le plus difficile à imposer.
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Figure 5 : Coupe axonométrique du projet, Salima Naji ©. |
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Figure 6 : Vue zénithale de la Source filmée par drone. Mehdi Bensid ©. |
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Figure 7 : Vue sur le réservoir et la chute d’eau, Salima Naji ©. |
En effet, la pierre est un des matériaux privilégiés pour les ouvrages hydrauliques: les citernes, les barrages collinaires, ouvrages de mise en réserve de l’eau. Par ailleurs, au sein du jardin un espace semi enterré en pierre sèche reprend le modèle des khetarrates extérieures qui entouraient jadis les espaces de la ville. Cette même pierre habillait les emmarchements du grand bassin.
Malgré les multiples témoignages historiques et la puissante capacité évocatrice de ces matériaux, leur mise en œuvre fut difficile. Premièrement, il a fallu surmonter l’opposition des bureaux d’études refusant les techniques vernaculaires. Au moment de la rédaction des CPS, ces derniers réclament des documents techniques unifiés, puis ensuite sur le chantier, ils se rétractent et exigent un doublement les doses de béton armé. Commence alors une longue confrontation obligeant constamment à des rapports de force au sein desquels la maîtrise d’ouvrage et l’entreprise sont déterminantes. Cela dans un contexte où les savoir-faire locaux ayant été oubliés imposant un transfert de compétences par des maalmines (maîtres artisans) du Haut Draâ ou de l’Imjadd venus encadrer les équipes.
Ce long processus induit alors de très nombreuses réunions mais aussi des conférences dans divers lieux de la ville pour toucher tous les interlocuteurs potentiels. Ce sont autant d’étapes de sensibilisation et d’affirmation du projet. Toutes les parties prenantes peuvent ainsi débattre révélant ainsi les craintes profondes. Il se dessine alors une ligne de fracture. D’une part des individus extérieurs au site, ne fréquentant pas les lieux, sont soucieux d’imposer un ordre socio-technique et moral exclusif: soit un espace de béton de ciment interdit au public, voire éventuellement dédié aux touristes. D’autre part, des habitants ou des usagers souhaitent un espace plus ouvert à même d’évoquer un passé oublié: l’eau d’une source karstique accessible à tous. Au final, la maîtrise d’ouvrage et la maîtrise d’œuvre s’accordent sur la destination de l’espace: les femmes avec enfants en bas âge. Elles affirment alors la dimension sociale du site qui se trouve dans un quartier paupérisé et densifié. Les matériaux et les dispositifs architecturaux favorisent les multiples jeux (toucher l’eau, sauter, escalader), dans un espace protégé (le pavement en pierre de la rue ralentissant la circulation notamment des deux roues), l’effet cascade assurant fraicheur et couverture sonore.
Ce pari de l’ouverture au public et surtout au jeune public induit une surveillance et un entretien plus important, tout en favorisant la prise de conscience environnementale et patrimoniale. Par ailleurs, privilégier les habitants aux plus forts besoins d’espace public de qualité s’avère répondre aux attentes de tous les autres publics.
3. Conversion de la forteresse Kasbah Aghenaj, arsenal de guerre, en centre d’interprétation du patrimoine
3.1. De la forteresse à l’espace culturel: Kasbah Aghenaj
3.1.1. Un théâtre de plein-air comme première phase du complexe culturel à venir
À proximité, la Kasbah Aghenaj est un autre lieu hautement symbolique, caserne militaire puis prison. C’est un lieu en partie abandonné, seule la partie sud accueille un centre de formation féminin, avant que la municipalité décide de le requalifier. Les hauts-murs sont fortement dégradés et nécessitent un entretien d’urgence (2008). Le projet envisagé dans son intégralité est celui d’un musée de la ville, cependant, l’ampleur des financements et la complexité institutionnelle interdisent une mise en travaux rapide. Par conséquent, il est d’abord décidé de réhabilité la partie nord, la plus abîmée qui fait face à la source. Elle est alors aménagée en un théâtre de plein-air pour offrir un espace de représentation aux créations artistiques locales (2009). Les murailles scrupuleusement restaurées ont permis d’établir un protocole à même d’être dupliqué sur l’ensemble de la muraille de la ville (2009, 2010) et ces mêmes recommandations inscrites dans le PASM. Le pisé est doublé d’un enduit à la chaud et d’un parement en pierre à sa base afin de garantir sa pérennité. L’initiative inspire les restaurations de certaines ruelles par un réseau d’association de la médina menée par l’Association Amoudou (2014).Le lieu est alors pensé comme au cœur de la cité. Il accueille le public mais aussi permet de réfléchir à la question du patrimoine autour d’un objet concret en liant patrimoine immatériel (chants, musiques, théâtre) et patrimoine matériel. Il prépare alors le grand projet à venir.
3.1.2 Un programme élaboré sur la durée et dessiné sur mesure
Le projet s’affine au fur et à mesure de la phase de restauration du monument pour devenir un centre d’interprétation du patrimoine (CIP). Le parti pris du projet consiste à proposer un cheminement culturel dans l’histoire de la ville par la promenade autour et dans l’ancienne citadelle, son clos transformé en jardins englobant un théâtre de plein-air et un espace muséographié. La structure est tournée vers le jeune public – en proposant l’idée d’un jardin ouvert sur la ville pour faire entrer le musée ou le CIP dans les habitudes des Tiznitis. Le jardin musée devient l’espace de la sensibilisation au patrimoine, il permet d’associer ouverture culturelle et amélioration de l’espace quotidien des urbains.
L’approche d’un CIP intègre une mise en valeur du site historique sur lequel le lieu est bâti. Ainsi, la construction a été précédée d’une série de carottages archéologiques menées par l’archéologue médiéviste Abdellah Fili, de l’université d’El Jadida. Par ailleurs, le corpus du CIP de Tiznit intègre les traditions locales en replaçant la région dans son contexte depuis le champ de la préhistoire avec une collection de pièces du néolithique et un fac-similé de tables de gravures rupestres locales répertoriées jusqu’à la naissance de l’oasis, sa croissance, notamment les remparts dessinés par My Hassan, dans le contexte du commerce transsaharien, puis du rapport à la principauté de Tazerwalt, en passant par les institutions locales comme les greniers collectifs ou les écoles religieuses (zawya). La découverte se fait aussi par le kinesthésique, en sublimant les matériaux locaux et les traditions architecturales locales pour stimuler les cinq sens.
L’objectif est alors de proposer une mise en valeur des techniques traditionnelles dans leur singularité historique mais aussi dans une approche contemporaine éco-constructive. Dès lors, la densité historique des lieux est mise en perspective dans la contemporanéité.
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Figure 12 : Implantation des activités dans le noyau fondateur de la ville, Salima Naji ©. |
3.2. Un bâtiment placé au coeur d’une réflexion sur l’éco-construction
3.2.1. Le pisé un leg architectural à réinvestir
Le bâtiment est construit avec une enveloppe de pisé très épaisse, avec des ouvertures limitées, permettant une isolation maximale. Les adobes complètent les aménagements intérieurs pour conserver au lieu ses qualités d’hygrométrie et leur donner une douceur et une consistance particulières attachées à la terre crue. L’idée est de magnifier la terre tout en convaincant le simple citoyen d’utiliser la terre crue. Dans cette oasis où tous les bâtiments étaient, jusqu’à la fin du XXe siècle édifiés en terre, il faut montrer que cela est toujours possible car parfaitement adapté aux conditions climatiques. Lors des pics de températures, les bâtiments construits en terre crue ont prouvé leur efficience réduisant les coûts de climatisation. Il s’agit alors de privilégier les dispositifs simples en matériaux à forte inertie thermique aux hybridations problématiques de matériaux sans dispositifs bioclimatiques.
3.2.2. Autoriser le pisé au Maroc : l’architecture de terre, un sport de combat
Cependant, le projet construit en terre crue a été autorisé à un moment où le code de l’urbanisme ne permettait aucun assouplissement en vue d’une utilisation innovante des techniques dites traditionnelles jusque là quasi-interdites (2010). Les autorités et les bureaux d’étude considéraient alors que les matériaux traditionnels n’étaient qu’un décor et non une structure porteuse. Ils imposèrent donc un chainage à intégrer dans la terre, sans aucune réflexion sur le matériau comme cela leur fut pourtant soumis. Le bureau d’études a préconisé des poteaux porteurs assez rapprochés de 0,35 x 0,35 m pour une hauteur finale de 7,5 m, arguant du règlement parasismique (R.P.S 2002), sans aucun souci d’optimisation. Les arguments du bilan carbone et de l’utilisation minimisée du béton armé, n’avaient alors aucun crédit, surtout pour un bâtiment accueillant du public.
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Figure 15 : Plan des matériaux, façades, Salima Naji ©. |
3.2.3. Les contraintes d’un matériau exigeant
Les projets contemporains cherchent à mieux protéger le pisé des transferts d’humidité avec le sol en le posant sur une plateforme étanche. Les remontées capillaires dans les fondations et dans le soubassement sont évitées surtout dans cette région où la proximité de l’océan (14 km) favorise des remontées importantes. La base, en béton armé et en pierre avec barrière capillaire, est un bouclier qui bloque les échanges avec le terrain.
Le pisé est mis en oeuvre dans des coffrages métalliques à progression linéaire. La terre est mélangée à de la chaux selon un dosage spécifique et compactée avec un fouloir pneumatique, qui densifie le matériau au point de le rendre parfaitement lisse en surface. Pour l’entreprise, construire en pisé est difficile, son expérimentation est donc un préalable nécessaire avec une rigueur de mise en œuvre et de suivi qui fait défaut généralement et plus de temps qu’un projet en béton-armé. Il faut donc convaincre l’entreprise de mettre en œuvre un nouveau processus de production à partir de machines spécifiques, puis il faut accompagner chaque essai et exiger un travail rigoureux. Ce temps de préparation est compensé par les qualités hygrométriques et thermiques du bâtiment bioclimatique car il ne nécessite pas d’enveloppes et de matériaux isolants, superfétatoires et couteux. Au final, le bilan carbone du chantier sera beaucoup plus faible.
3.2.4. Les autres mises en oeuvre, hommages aux techniques vernaculaires régionales
Dans les espaces muséographiés, les matériaux sont omniprésents : le pisé apparaît, brut, en rappel de l’extérieur; adobes et pierres sont présentés dans des procédés mixtes en fonction de la thématique des salles. Un grenier collectif, agadir, a été construit à l’échelle 1 pour magnifier l’une des institutions les plus importantes de l’Anti Atlas. Il n’a fait l’objet d’aucune démolition d’aucun site, ni n’a usé de matériaux ou de portes prélevées sur d’autres sites. Car il est important de comprendre qu’il ne faut pas démonter ou dépecer ces sites historiques de l’Anti-Atlas mais restaurer ce patrimoine multiséculaire in situ, tel qu’il a été transmis. Cette reconstruction assurée est donc une invitation à parcourir les régions qui environnent Tiznit pour aller voir les sites sur place et admirer, lorsqu’ils sont encore en fonctionnement, l’intelligence de ce système solidaire mis au point sur la durée par les sociétés amazighes. Un borj est intégré avec une enceinte distincte qui explicitent mieux le dispositif séculaire de fortification de ces sites.
3.3. Le Centre historique de Tiznit, Tiguemmi n’Tamazirt ® et centre de traitement des archives
3.3.1. Bâtiments bioclimatiques à vocation régionale
Attenant à la Kasbah Aghenaj, la municipalité a valorisé le site de l’ancien dépôt municipal pour compléter le CIP de deux équipements tournés résolument vers la région : un centre de traitement des archives historiques servant aussi d’espace de médiation ou de sensibilisation à l’importance de la conservation des archives privées, religieuses ou commerciales, particulièrement abondantes dans la région du Souss, et une maison de pays, Tiguemmi n’Tamazirt (2) faisant le lien entre tous les sites patrimoniaux et la dynamique associative en mettant en valeur l’économie sociale et solidaire.
Ces deux équipements permettent alors de créer une réelle synergie entre les différentes activités sans pour autant les confondre. Ainsi, la dimension spectaculaire du musée est complétée par une réflexion plus profonde sur l’histoire et la conservation des traces. De même, le patrimoine trouve sa continuité dans le tissu associatif particulièrement dense de la province.
Cette ouverture est symbolisée par les deux portes en pierre, du centre de traitement des archives d’une part et de Tiguemmi n’Tamazirt d’autre part qui reprennent des codes régionaux stylisés des Idaw Ousemlal, elles-mêmes venues de la tradition constructive de Tamdoult, où les porches en saillie sont utilisés sont ainsi articulées aux lignes pures d’une architecture atemporelle.
3.3.2 Adobes et parois de chaux pour une forte inertie
Ces bâtiments viennent aussi s’inscrire en miroir du CIP. Les bâtiment sont construit en adobes de double épaisseur au minimum (largeur 0,80 à 0,60 m) autour d’une cour centrale, qui évoque les péristyles des demeures traditionnelles de Tiznit. Une galerie couverte de fibres végétales sur une structure en acier procure de l’ombre, au centre un plan d’eau et une fontaine contemporaine en tadelakt contribue à rafraîchir l’espace d’accueil principal. Le traitement des façades conjugue deux matériaux : la pierre, pour ses qualités d’aspect et de pérennité, et l’adobe qui est plus facile à mettre en œuvre que le pisé. L’utilisation de l’adobe est économique et présente de nombreux avantages qui le rendent particulièrement intéressant : isolation, rapidité, environnement, esthétique. L’entreprise est à même de les produire et de les monter rapidement sans difficulté majeure. Leur protection est assurée par un mortier à la chaux hydraulique identique à celui de la Kasbah Aghenaj. Cependant, les murs de la salle de lecture et ceux derrière le comptoir d’accueil conservent la brique de terre traitée sans crépissage pour permettre de lire la matériau qui constitue le bâtiment. Le matériaux permet aussi l’ouverture de baies profondes assurant lumière tout en protégeant des chaleurs excessives.
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Figure 20 : Plans, coupes et façades du projet de Tiguemmi n’Tamazirt ® (Ouest) et du centre de traitement des archives (Est), Salima Naji ©. |
L’orientation du bâtiment reconduit celle des constructions traditionnelles. Enchâssées dans le tissu médinal, seules deux façades sont exposées : la façade Sud, qui a très peu d’ouvertures et la façade Ouest qui reçoit l’ombre du mur de la kasbah d’une hauteur de près de 7 mètres. Enfin, des ouvertures a ménagées dans le bâtiment – indépendamment des baies – permettent une circulation de l’air et des regards. Les espaces sont desservis et articulés de façon à être éclairés et ventilés naturellement.
4. Conclusion
Des villes moyennes, conscientes de posséder un patrimoine, souhaitent désormais agir alors qu’elles sont toujours dans un processus de « mise à niveau » urbaine et que les quartiers historiques sont ceux qui sont les plus paupérisés. Dès lors, quel développement urbain offrir? Doit-on conserver quelques architectures symboliques monumentales et laisser libre cours à un urbanisme nouveau effaçant toutes traces anciennes du quartier historique traditionnel?
Une approche sentimentale locale englobe tous les quartiers sans hiérarchisation historique, démarche intéressante mais démarche éminemment politique qui ne voudrait privilégier aucune zone, tout en assumant que partiellement l’état de dégradation différencié. Par ailleurs, la question du développement est reprise dans un autre débat entre la commune de Tiznit et l’agence urbaine d’Agadir: les demandes locales se heurtent à un ensemble de normes et de pratiques qui aujourd’hui sacrifient les espaces publics au profit d’espaces privés. Le tout béton, dans une uniformisation d’abord des procédés ensuite des formes construites, nivelle par le bas des villes sans assurer un bien être supérieur.
Rendre effective l’idée d’une revitalisation du centre historique et de ses abords se construit à partir de l’expérience concrète d’un certain nombre de projets réhabilités ou construits. Car, l’idée de pouvoir conserver les formes anciennes, voire les restituer, a pris forme dans les esprits, n’impliquant plus, comme naguère la rénovation brutale (islah ) qui, la plupart du temps dans le pays, faisait table-rase des formes anciennes et des procédés locaux. En privilégiant l’extension d’un espace public de qualité pour parer aux besoins immédiats des ménages les plus pauvres en terme de lieux de vie, il est possible de redonner une perspective architecturale à l’ensemble des habitants en défendant une alternative constructive crédible ancrée dans la modernité.
Bibliographie
BOUMZGOU A., GOEURY D. NAJI S., Tiznit, Ain Aqdim, la Source à l’origine de la ville, Livre trilingue (arabe, français, tachelhit), DTG, Rabat, 2016.
EL-FAIZ M., Les Maîtres de l’eau, Histoire de l’hydraulique arabe, Actes Sud Nature, Arles, 2005.
NAJI S., « Le patrimoine au Maroc : un enjeu identitaire à travers l’histoire », in Les Cahiers (Institut d’Aménagement et d’urbanisme de la région d’Ile de France), Numéro 154, Le Maroc s’ouvre au XXI° siècle, numéro double, pp. 107-109, Paris, 2010.
NAJI S., « Faire émerger l’idée d’une requalification du centre historique de Tiznit (Maroc) : Du projet associatif au projet collectif : la mise en oeuvre d’un projet communal » in Etienne Berthold (dir.) Les quartiers historiques. Pressions, enjeux, actions, pp. 209-225 Presses de l’Université de Laval, 2013.
NAJI S., Conférence Sauvetage des architectures des oasis du Maroc. Entre compétence d’édifier et pratiques anthropologiques spécifiques . Actualité des Ksours et des igudars (villages fortifiés et greniers collectifs) in CIATMO (Congresso Internacional Arquitetura Tradicional no Mediterraneo Ocidental, Champ Archéologique de Mértola, pp.22-31, Argumentum édition, Lisbonne, 2015.
Notes
(1) Etude architecturale et plan d’aménagement et de sauvegarde de la Médina de Tiznit (PASM). Phase première, Rapport d’analyse sectorielle et de diagnostic. Phase seconde, Document de synthèse et de programmation, Scenarios d’aménagement. Cahiers de prescriptions architecturales. Phase troisième, Documents de concertation, variantes du plan d’aménagement et de sauvegarde, Plans d’Ordonnancement des Façades. Programme d’action et planning d’exécution, Projet de règlement du plan d’aménagement et de sauvegarde « Charte architecturale », Liste des projets intégrés. Phase quatrième : Documents destinés à la procédure d’instruction et d’homologation. Comité technique local & Enquête publique et délibération (Marché n°14/2010), Ministère de l’Habitat, de l’Urbanisme et de la politique de la ville, Agence Urbaine d’Agadir, 2012-2015 en phases d’achèvement : phase 5 et dernière.
(2) Notre agence d’architecture a forgé le concept de Tiguemmi n’Tamazirt® pour la ville de Tiznit, carrefour historique entre les villes du Nord et l’arrière pays de l’Anti-Atlas ou des oasis sahariennes, Tiznit bénéficie d’une position stratégique comme plateforme de production et d’accueil des produits de terroir. Cependant, le secteur souffre d’une très grande atomicité à la fois organisationnelle et géographique.
Bonjour de Tiznit. Mes félicitations et grands remerciements pour ce travail magnifique! Et pour toutes ces explications données dans cet article. Il est extrèmement important de perséverer la bioconstruction de ces espaces car la rénovation des lieux se fait redonnant une ceraine vie à ces espaces qui nous rapproche aux atmosphères « vraies » du passé, à une élégance, une beautée intelligente et un raffinement du patrimoine qui est exemplaire! Merci Mme. Salima Naji! Et merci à M.Terrier de nous montrer cet article.
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Superbe.
Dommage je pense à ce trésor historique qu’est la Kasbah d’Agadir qui périclite et je compare les ksour restaurés par Salima Naji et me reprends à espérer possible une telle solution.
Marie France Dartois
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